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20 septembre 2009 7 20 /09 /septembre /2009 22:17

Sept ans après Sangatte,
ou sept ans avant  "Calais Port 2015" ?

 La jungle, à Calais (ph. Salam)

 

Eric Besson, à qui l’application des tests génétiques pour les candidats à l’immigration pose un problème… technique, se lance à l’assaut de la jungle de Calais. Sept ans après la fermeture du centre de la Croix Rouge de Sangatte, l’ancien socialiste devenu un bon soldat du sarkozysme, poursuit l’œuvre commencée par son patron. L’argument massue ne change pas : en finir avec les passeurs. Question : A quoi donc a servi le "coup" de Sangatte ? L’actuel ministre de l’immigration et de l’identité nationale sera-t-il plus efficace que le ministre de l’Intérieur de 1982 ?

 

Dans un  premier temps, en avril dernier, le ministre avait prévu le démantèlement de la « jungle » pour la fin de l’année, c’est-à-dire exactement sept ans après la fermeture du centre de Sangatte par Nicolas Sarkozy (novembre 2002). La jungle, c’est ce bois, ou plutôt ces bois, où vivent dans des conditions déplorables les migrants depuis la fermeture de Sangatte.  Qu’est ce qui a pu  faire changer d’avis M Besson en annonçant, ce mercredi 16 septembre, une fermeture dès la fin de cette semaine, c’est-à-dire d’ici le 25 septembre ?

 

Même si elle se défend d’être pour quelque chose dans l’avance de cette décision, la maire (UMP), Natacha Bouchart avait interpellé M Besson quelques jours plus tôt. « En début de semaine », dit-elle, soit deux jours au plus avant l’annonce ministérielle ! Quelle remarquable écoute de la part de M  Besson. Quelle réactivité ! L’élue calaisienne serait-elle donc une femme d’aussi grande influence ?

 

Faire place nette avant Calais Port 2015 ?

 

Un second élément, précédent immédiatement l’initiative de Mme Bouchart, aurait-il pesé dans la balance ? Vendredi 11 septembre était lancé officiellement le débat public relatif au projet « Calais port 2015 ». Ce grand projet calaisien, qui prévoit notamment une extension  du port et la création d’une nouvelle jetée, va faire l’objet de huit réunions publiques d’ici le 16 novembre. La première est prévue pour ce vendredi 18 septembre. Ensuite, sur la base d’une synthèse qui lui sera transmise par la commission, le Conseil régional du Nord – Pas de Calais (nouveau propriétaire du port et maître d’ouvrage pour Calais 2015) décidera la mise en œuvre ou non du projet.

 

Selon Pierre-Frédéric Ténière-Buchot, président de la commission particulière du Débat public, ce projet recueillera sans doute une très forte adhésion du public. « Parmi les points qui seront abordés, nous a-t-il confié, il y aura celui de la sécurité. Donc celui portant sur la présence des migrants qui tentent quotidiennement de passer en Angleterre ».

 

Ainsi, plus que la sécurité et la tranquillité des riverains, évoquée par Mme Bouchart, le grand projet économique calaisien pourrait-il être un élément moteur pour accélérer le règlement  du dossier des migrants qui se pressent à Calais dans l’espoir d’embarquer clandestinement.

 

 Hypocrisie

 

 Autre question : Pourquoi le ministre de l’Immigration décide-t-il soudainement de d’annoncer l’opération de démantèlement dans un délai d’une semaine ? Comme le rappelle l’association d’aide aux migrants, Salam, une telle opération devait en principe rester secrète. Tout se passe comme si M Besson avait voulu prévenir les migrants eux-mêmes afin de les inciter à fuir et à se disperser. C’est du reste ce qu’il se passe depuis son annonce. Sous le titre « La jungle en partie désertée », Le Figaro.fr du 17 septembre écrit : « Quelque 600 migrants devaient être pris en charge par les forces de l'ordre. Mais au lendemain de l'annonce médiatique d'Éric Besson, les deux tiers avaient déjà quitté les lieux… ». Et de préciser, sous la plume de Jean-Marie Leclerc  : « Résultat : jeudi, au lendemain de cette annonce fracassante, les quelque 600 clandestins concernés n'étaient plus que 200 sur place au petit matin. Et le campement se vidait d'heure en heure… «Ils se sont évanouis dans la nature. Il faudra aller les rechercher un par un, dans les villes voisines, les granges, les zones industrielles», regrette un haut fonctionnaire de la police nationale. »

Laurent Decotte, dans La voix du Nord du 18 septembre, se montre plus précis : « Éric Besson ne voulait pas voir à la télé de camions de CRS encerclant et interpellant des migrants démunis dans un camp d'infortune. Question d'image... Alors mercredi soir, sur TF1, il les a comme prévenus (…) ».

L’association Salam www.associationsalam.org  fait la même analyse et va plus loin : « L’hypocrisie consiste à ainsi faire disparaître d’eux-mêmes les Migrants du Calaisis. En effet, le gouvernement aurait tout simplement été incapable de traiter individuellement le cas de plusieurs centaines de Migrants. Depuis de nombreux mois nous signalons le manque de places dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile. »

De toute façon, explique pour sa part Mathieu Hébert, pour Nord Eclair, cette fermeture n’empêchera pas les problèmes de demeurer. « Les acteurs associatifs sont persuadés que l'opération prévue ne mène à rien. « Calais, avec le tunnel sous la Manche et les ferries, reste attractif pour des gens qui veulent rejoindre l'Angleterre, affirme Jacky Verhaegen, du Secours catholique. Pendant quelques semaines, c'est probable, il y aura moins de migrants ». « On "nettoie". C'est la politique de l'autruche, ironise Monique Delannoy. Les questions de fond ne sont pas abordées : l'harmonisation européenne de l'asile, la question des migrations... »


D’autres squats

 

Ainsi, quand la police interviendra, une bonne partie des migrants se sera dispersée et aura rejoint un des nombreux squats (une vingtaine à Calais » et bien d’autres sur l’ensemble du littoral, de la Normandie à la frontière belge). Ils pourront aussi se regrouper dans une autre jungle. On peut effectivement s’interroger sur l’efficacité d’une mesure aussi brutale. Pour ceux qui ne passeront pas au travers des mailles du filet,  M Besson prévoit un hébergement, un retour volontaire ou une mesure d’expulsion. Et il assure que les Afghans (très nombreux dans la jungle visée) ne seront pas expulsés si leur vie est en danger dans leur pays.

 

Aucune association ne prête foi à ces intentions. L’hébergement, trop lointain, ne sera pas accepté, disent-elles. Les migrants ont besoin de se trouver à proximité du port pour tenter leur passage en Angleterre. Elles craignent donc de nombreuses expulsions. Et tandis que Natacha Bouchart estime qu’une multiplication éventuelle des squats ne lui pose pas de problème (Besson a assuré qu’ils seront régulièrement détruits), la Ligue des droits de l’Homme accuse : « la destruction de la jungle ne fera qu’ajouter de la misère à la misère ».

   

Et les passeurs ?

Reste la question des passeurs. D’abord, les passeurs ne sont pas forcément, ni tous, les malfrats que l’on décrit souvent. Mais pour les autres, que l’on qualifiera de « professionnels », que va-t-il se passer ? Haydée Sabeyran, pour le site www.libelille.fr, a eu l’idée d’interroger Jean-Pierre Alaux, membre du Gisti, le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés. Pour lui, la méthode Besson (raser la jungle) ne pourra avoir qu’un effet contraire : « Chaque fois qu'on rend plus difficile la poursuite du voyage, qu'on offre une liberté de circulation proche de zéro, outre qu'on porte atteinte à la Convention de Genève, on renvoie les exilés à des spécialistes du cheminement. Détruire la «jungle» renforce le pouvoir des passeurs. On les rend indispensables. »

Libélille rappelle que « la Convention de Genève garantit la liberté de circulation pour les demandeurs d'asile. Jean-Pierre Alaux considère ici que les migrants sont tous des demandeurs d'asile à qui on nie cette qualité ».

Alors, quelle conclusion ? La destruction programmée de la jungle n’empêchera pas les migrants de continuer à venir pour tenter de rejoindre ce qu’ils croient encore être un eldorado. Les passeurs mercantiles seront toujours au rendez-vous pour les exploiter. Que restera-t-il de l’annonce médiatique et, sans doute, de l’opération qui va être menée ? Des mesures d’expulsion pour les uns. Peut-être quelques prises en compte de dossiers de demande d’asile. Surtout, les migrants verront leurs conditions de vie encore plus difficiles. Et, au moins un temps, ils deviendront beaucoup moins visibles. Pour le ministère de l’immigration et le gouvernement, une opération de communication de plus menée sous le label désigné par M Besson : « Une France républicaine et humaniste ».

 

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