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26 mars 2012 1 26 /03 /mars /2012 13:32

L’Algérie prisonnière d’un processus réactionnaire 

 

Cinquante ans après l’indépendance, la société algérienne semble figée. Une situation imposée par un pouvoir éloigné du peuple, un appareil qui se veut indéboulonnable. Il y a un an, le printemps arabe a été étouffé. Vingt ans plus tôt, l’Algérie était en train de rater sa seconde révolution.

 

Quelques semaines avant les élections législatives algériennes, le 10 mai, 17 nouveaux partis politiques sont en passe d’obtenir leur agrément par le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales. Inouï quand sait que le  dernier agrément avait été accordé 1999 ! C’était pour le parti islamiste El Islah.

 

Cela ne semble faire ni chaud ni froid aux Algériens. « Ces nouveaus partis sont pour la plupart issus de dissidences de formations existantes. Ils auront sans doute peu de poids dans l’évolution politique du pays », observe un journaliste algérien. « D’autre part, poursuit-il, les gens  ont perdu confiance aux politiques. Les partis n’ont pas été à la hauteur de leurs aspirations. Ils sont trop éloignés du peuple ». Un peuple qui sait que les bénéfices de la manne pétrolière continuent à lui échapper au profit de clans de nantis.

 

C’est toute l’histoire de ces 23 dernières années. Un véritable tournant aurait pu être pris en octobre 1988 lorsque des émeutes, dites « de la faim », ont éclaté à Alger avant de s’étendre à l’ensemble du pays. La jeunesse, ultra-majoritaire, protestait contre la malvie et l’absence de perspectives. Mais surtout, les manifestants réclamaient la fin du parti unique, la démocratie, la liberté. L’armée a opéré une répression sanglante, faisant près de 500 morts.

 

L’avènement du multipartisme

 

Si le président Chadli Bendjedid, au pouvoir depuis 1979, est réélu le 22 décembre, une nouvelle constitution ouvre la voie au multipartisme. Une loi est votée en ce sens le 3 juillet 1989. Le Front des forces socialistes (FFS), interdit depuis l’arrestation d’Aït Ahmed en octobre 1964, a de nouveau pignon sur rue. Saïd Sadi crée le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Le Parti de l’Avant-garde socialiste (PAGS) a droit de cité. En 1993, son coordonnateur, Hachemi Cherif, crée le mouvement « Etahhadi-Tafat ». Le Parti des travailleurs, dirigé par une femme, Louisa Hanoune, permet une réprésentation trotskiste. Tous sont des partis démocrates qui vont s’opposer au vieux FLN.

 

Une ère nouvelle semble promise. Avec le multipartisme, la presse écrite privée est autorisée. De nombreux journalistes quittent les journaux publics (une presse qui dépendait de l’Etat). Avec les indemnités de départ, ils créent leurs propres journaux. C’est ce que l’on a appelé « l’aventure intellectuelle ». Des dizaines de titres inondent l’Algérie d’un vent inédit de liberté. Nombreux sont ceux qui éliront domicile dans une ancienne caserne transformée en « Maison de la Presse », à Alger.

 

Hélas, le ver était dans le fruit. Durant les émeutes de 1988, les intéristes avaient habilement tenté de récupérer le mouvement. Avec la bénédiction du président Chadli. Dès septembre 1989, le Front islamique du salut (FIS) est légalisé. La nouvelle constitution, dans son texte initial, ne le permettait pourtant pas.

 

Montée de l’intégrisme

Dès lors, un processus insensé va s’enclencher. Au terme d’une campagne violente, le FIS remporte les premières élections locales libres organisées en juin 1990. Le 26 décembre, une loi porte généralisation de la langue arabe. Les intégristes sont plus plus forts que jamais et ils le prouvent en exigeant une élection présidentielle anticipée. Ils y mettent les moyens : le 23 mai 1991, ils appellent à une grève générale illimitée. Ils la veulent insurectionnelle. Cela aboutit à l’état de siège, en juin, et à l’arrestation de deux principaux dirigeants du FIS : Abassi Madani et Ali Belhadj.

 

Cela n’empêchera pas le FIS d’arriver en tête du premier tour des élections législatives, le 26 décembre 1991. Il récolte 47,5% des suffrages. Il n’y aura pas de second tour. L’armée interrompt le processus électoral le 11 janvier suivant et le président Chadli remet sa démission. Un Haut Comité d’Etat est mis en place quelques jours plus tard. Pour le présider, après le refus de Hocine Aït Ahmed qui dénonce l’arrêt du processus électoral, on va chercher un autre père de la révolution algérienne : Mohamed Boudiaf qui était en exil au Maroc depuis 28 ans.

 

Le projet de Boudiaf

 

Les choses se précipitent. L’état d’urgence est instauré dès le 9 février et le FIS est dissous le 4 mars. La jeunesse ne connaît pas Mohamed Boudiaf. Lui qui avait milité pour l’indépendance de son pays dès les années quarante avait été rejeté une fois celle-ci acquise. Son nom a été rayé de l’histoire officielle et des manuels scolaires. C’est précisément cette jeunesse, et l’avenir de l’Algérie, qui le motivent. En prêtant serment à l’Algérie, à 72 ans, il jure de « tendre la main à tous les Algériens », rapporte la journaliste Nadjia Bouzeghrane. Il promet aussi de livrer « une guerre sans merci à tous les fauteurs de troubles et à tous les corrompus qui se sont enrichis sur le dos du peuple ».

 

Ces derniers ne le laisseront pas faire. Le 29 juin 1992, il est assassiné. Il avait voulu la justice sociale et la fin des passe-droits. Il voulait la liberté et n’oubliait pas le sort que le code de la famille de 1984 avait réservé aux femmes. Il avait compris que la crise, avant d’être économique et sociale, était d’abord une crise politique. Aurait-il pu aller au bout de son projet ? Nul ne peut le dire.

 

Un an après sa mort, le terrorisme islamiste ensanglante l’Algérie. La répression n’est pas en reste. Le peuple paie le prix fort. Après les assassinats d’intellectuels et de journalistes, en 1993, les intégristes massacrent des quartiers et des villages entiers comme Benthala en 1997. Bilan de ces années de sang : 200 000 morts et 7200 disparus.. Elu en avril 1999, le président Abdelaziz Bouteflika entame la concorde civile et la réconciliation nationale.

 

Aujourd’hui, les islamistes siègent au Parlement et comptent quatre ministres. Le code de la famille qui reléguait la femme au rang de mineure a été amendé en 2005. Mais l’égalité est encore loin. Comme l’exercice de la démocratie, comme la justice sociale. Les mouvements de femmes se sont essoufflés. L’une de ses principales dirigeantes, Khalida Messaoudi, a obtenu le portefeuille de la communication. Le chômage, officiellement de 10 %, affleurerait les 30 % dans de nombreuses régions. L’opposition politique, malgré la multiplication des partis, reste très au-deça de son rôle. Face à un pouvoir droit dans ses bottes et à des généraux qui veillent au grain.

 

Philippe Allienne

(article publié par Liberté Hebdo  n° 1006 - www.libertehebdo.com)

 

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